Avril 2015 – Photographie les Fileuses

Les Fileuses, photographie, Félix Arnaudin

Fileuses
Prise de vue le 13 avril 1893
H. 13 x L. 18 cm
D'après négatif sur verre au gélatino-bromure d'argent
Collection musée d’Aquitaine, n° inventaire : 66.27.2098

Sur ce cliché, probablement le plus connu de Félix Arnaudin, est représentée une veillée rassemblant trois générations. Les femmes sont occupées à filer le chanvre ou le lin à l’aide de la quenouille et du fuseau en vue de constituer des pelotes de fil destinées au tissage des vêtements ou du linge de maison. Au premier plan, trois femmes tirent le fil qu’elles torsadent avec leurs doigts humidifiés par la salive à partir de la quenouille ; elles enroulent une pelote sur le fuseau le faisant tourner de la main droite. Ces derniers sont ensuite mit à sécher sur un petit râtelier en haut à droite de la cheminée.

Pour prendre ce cliché en intérieur, Félix Arnaudin a utilisé une maison dont la toiture n’existait plus pour obtenir l’éclairage zénithal  indispensable à la prise de vue. Il est parvenu à rassembler en cercle dix adultes et deux enfants devant l’âtre. C’est la première fois (1893) qu’Arnaudin effectue une prise de vue en intérieur ; il recommencera une seconde fois quelques vingt ans plus tard (1912) avec la scène de l’emboucage des bœufs à partir de la salle commune (1). Au-dessus de la cheminée des guêtres en laine sont disposées à sécher et une rangée d’épis de mais est suspendue tout en hauteur. Des miches de pain reposent sur une étagère et des chapeaux sont accrochés au mur. A droite, un balai de brande est posé contre le mur, à gauche une paire d’échasses. Cette importante série (une trentaine de prises de vues) a été réalisée à Maroutine non loin du Monge, demeure de Félix Arnaudin.


(1) Scène de l’emboucage des bœufs, Félix Arnaudin, Sabres, le 16.06.1912,
collection musée d'Aquitaine. 


Félix Arnaudin
Félix Arnaudin (1844-1921), né à Labouheyre, vit au cœur de la Grande-Lande, alors que celle-ci est aux portes de l’industrialisation et qu’il perçoit comme une catastrophe la disparition de l’ancienne civilisation agro-pastorale. Il décide alors de l’immortaliser par la photographie.

Le travail de prise de vue
A l’heure de l’image numérique instantanée où l’on peut réaliser de bons clichés rapidement et facilement, on a du mal à imaginer l’extrême difficulté du travail accompli par Félix Arnaudin. Réaliser une image en 1874 demande de bonnes connaissances en chimie et une grande dextérité. Le matériel est lourd et les cadrages sont évalués, à l’envers, sous un voile noir. A force de persévérance, ses images, de plus en plus élaborées, reflètent la représentation d’une vie rurale idéalisée. Ses scènes de travaux saisonniers ou de vie quotidienne ont la particularité d’être une complète reconstitution du passé.

Scènes de la vie quotidienne
Félix Arnaudin déploie une énergie considérable à mettre en scène les travaux saisonniers, rassemblant famille, amis, voisins et domestiques. Il n’hésite pas à remeubler une vieille bâtisse et à faire retirer les tuiles du toit afin de laisser entrer plus de lumière pour une des rares photographies organisées en intérieur. Il prépare rigoureusement ses séances de prises de vues, établit les listes des objets nécessaires, des figurants à convoquer (certains d’entre eux sont rémunérés), des vêtements à porter. Il prévoit la disposition de chacun dans l’espace : orientation, maintien des corps, attitudes de travail, gestes, parfois même regard, positionnement des outils…Rien n’est caché à l’objectif, tout est donné à la vue, sans superposition de plan pour une compréhension immédiate conférant à ses «tableaux» toute leur intention didactique. Toute la chaîne opératoire d’une activité est reproduite, étape par étape, sur une même photographie.
Ces images totalement construites sont l’illusion d’une réalité. Arnaudin ordonne en scènes figées une vision idéalisée d'un monde rural dont les pratiques sont en train de se modifier.

Références :
Félix Arnaudin, Au temps des échasses, 1928, Deuxième série, Châteaux et maisons rustiques, quartiers et villages (variante).
Félix Arnaudin, Lande d’autrefois, 1972, p. 111 (variante).
Félix Arnaudin, Imagier de la Grande Lande, 1993, n° 40 (variante).

> Cette œuvre du mois fait écho à l’exposition « Félix Arnaudin. Le guetteur mélancolique » présentée au musée d’Aquitaine du 14 avril au 31 octobre 2015. 

Photographie représentant une veillée rassemblant trois générations. Les femmes sont occupées à filer le chanvre ou le lin en vue de constituer des pelotes de fil destinées au tissage des vêtements ou du linge de maison.

Les Fileuses, photographie, Félix Arnaudin. Collection musée d’Aquitaine.