L'oeuvre du mois - août 2013

Fils d’un riche négociant bordelais, armateur et négrier, André-Daniel Laffon de Ladebat s’engagea toute sa vie dans la lutte contre l’esclavagisme et fut un ardent révolutionnaire. Portrait au pastel d’un humaniste encore peu reconnu.

Originaire de Bordeaux et de Bergerac, la famille Laffon, de confession protestante, a dû s’exiler en 1685 aux Provinces-Unies pour échapper aux persécutions du règne de Louis XIV, suite à la révocation de l’Édit de Nantes.

De retour à Bordeaux en 1744, le grand-père épouse une Nairac et crée une affaire de négoce et d’exportation de vin. Le père, Jacques, né en 1719 au temps de l’exil familial durant lequelil a pu apprendre le négoce et se créer un important réseau de relations commerciales, développe l’affaire bordelaise. Il se lance dans le commerce en droiture en 1755 et dans la Traite négrière à partir de 1764. Entre 1764 et 1772, il arme 14 navires à la Traite et devient de fait l’un des plus importants négriers de Bordeaux. Son dynamisme économique lui vaut l’anoblissement par le roi Louis XV en 1773. Le fils, André-Daniel, nait le 30 novembre 1746. Comme beaucoup d’enfants de riches négociants, il est envoyé à quatorze ans poursuivre ses études dans les Provinces-Unies et à Londres. Il y apprend les finances et le commerce et découvre aussi les idées libérales qui l’animeront toute sa vie. De retour à Bordeaux vers l’âge de vingt ans – période durant laquelle est réalisé ce portrait au pastel le représentant –, il est désigné comme successeur par son père, alors que son frère cadet part à Saint-Domingue où il crée une plantation avec son oncle maternel.

Militant abolitionniste

Cependant, André-Daniel répugne à la Traite négrière et préfère se consacrer à l’armement naval et à la mise en valeur des terres agricoles. En 1769, il se porte acquéreur de plusieurs centaines d’hectares de landes entre Pessac et Mérignac, qui deviennent la « première ferme expérimentale de Bordeaux ». Membre de l’Académie royale des Sciences, Lettres et Arts de Bordeaux en 1776, secrétaire du Musée de Bordeaux en 1783, il se fait d’abord connaître par ses positions sociales et son engagement abolitionniste.

Le discours qu’il prononce à l’Académie en 1788 sur « la nécessité et les moyens de détruire l’esclavage dans les colonies », également débattu à l’assemblée générale de la Société des amis des Noirs la même année, est devenu un classique de la cause abolitionniste. Il condamne l’esclavage sans détour sur le plan moral et s’attache à montrer qu’il est également inefficace sur le plan économique, des hommes libres étant beaucoup plus productifs que des esclaves. Cependant, il estime aussi que les esclaves doivent être formés et que le passage à la liberté ne pourra se faire que de façon graduelle. Ses positions sont celles d’un modéré, mais elles auront une influence importante parce qu’elles émanent d’un représentant du grand négoce.

Humaniste engagé

Ses engagements sont aussi politiques et, pendant la Révolution française, il va jouer un rôle important. Il veut d’abord représenter le Tiers- État, mais est évincé du fait de son appartenance à la noblesse. En 1791, il est élu à l’Assemblée Législative et siège parmi les Feuillants. Pendant la tourmente révolutionnaire, il est plusieurs fois emprisonné en raison de ses positions modérées, mais ses compétences en matière de finance lui permettent d’être un recours chaque fois que le Trésor est en difficulté. À l’issu du coup d’État du 18 fructidor au V (4 septembre 1797), alors qu’il préside le Conseil des Anciens, il fait partie des personnalités déportées en Guyane pendant deux ans et demi et voit mourir la moitié de ses compagnons de déportation. De retour en France en 1800, il est écarté du pouvoir par le premier consul qui n’avait pas apprécié les critiques qu’il avait formulées contre les exactions du général Bonaparte en Italie. Il assure cependant des responsabilités importantes dans la reconstruction du système bancaire. Il participe à la création des caisses d’épargne, et aux institutions d’aide aux démunis. Il reprend ses affaires, participe à la réorganisation de l’Église réformée et s’intéresse toujours aux questions sociales et de formation : il fait un séjour en Angleterre pour étudier les théories de Robert Owen, industriel utopiste, fondateur du mouvement coopératif et socialiste anglais. Modéré, homme des Lumières imprégné d’humanisme chrétien, personnalité engagée ne craignant pas de défendre ses convictions au risque de la prison et de la déportation, André- Daniel Laffon de Ladebat ne bénéficie pas encore aujourd’hui de la (re)connaissance qu’il mérite. On doit à son descendant Philippe Laffon de Ladebat de l’avoir sorti de l’oubli en publiant ses discours dont le fameux Discours sur la nécessité et les moyens de détruire l’esclavage dans les colonies ainsi que son Journal de déportation en Guyane (4 septembre 1797-10 mars 1800).

À lire
Bordeaux au XVIIIe siècle. Le commerce atlantique et l’esclavage, textes de François Hubert, Christian Block, Jacques de Cauna, éd. Le Festin, 2010.

Retrouvez cet article dans la revue le Festin #74

 

 
 

alt - André-Daniel Laffon de Ladebat, portrait au pastel. Photo L. Gauthier, mairie de Bordeaux

André-Daniel Laffon de Ladebat, portrait au pastel. Photo L. Gauthier, mairie de Bordeaux